9 avr. 2013

De la date de récolte d'un thé... (1)



J'aurais aussi pu choisir comme titre : Eloge de la relativité.


En effet, une évolution relativement récente dans le petit monde du thé est l'apparition et parfois la mise en avant "commerciale" de la date de récolte du thé, pour les thés de Chine, de Taïwan, voire du Japon.

Nous avions déjà l'habitude d'un discours promotionnel ponctuel autour de ces dates de cueillette pour les thés indiens de Darjeeling, et plus particulièrement pour les récoltes de printemps (ou First Flush pour les amateurs). Y était souvent associé l'idée d'une production restreinte, de stocks -très- limités, d'arrivage par avion... D'où l'impression de bénéficier en exclusivité de récoltes rares et, de fait, onéreuses.
Or, de plus en plus régulièrement, on voit se généraliser chez de nombreux vendeurs des dates de récolte, très précises pour la plupart. Cela semble même être devenu un critère simple et imparable pour identifier un vendeur sérieux. On peut ainsi lire ici et là que l'absence de ce critère de choix doit immédiatement rendre suspect le marchand qui se rendrait coupable d'un tel manquement à son devoir d'information.

Mais en quoi cette information serait si importante que sa non-communication devrait nous faire écarter le vendeur incriminé?


Parmi les arguments de la petite communauté des buveurs de thés (et de leurs fournisseurs) on pourrait trouver, dans le désordre :
  •   Avoir une information objective sur la fraicheur du thé.
  •   Etre sûr d'avoir le meilleur thé, c'est à dire le plus précoce.
  •   Distinguer deux récoltes différentes d'un même thé.
  •   Prouver la connaissance parfaite du produit par le vendeur.
  •   Etre assuré d'une récolte unique de qualité et en quantité limitée. 
  •   Pouvoir se la "péter" auprès de ses amis qui croyaient que c'était une DLC (date limite de consommation)    :)

Et il y en a sûrement d'autres que j'oublie (là je compte sur vous pour alimenter la discussion)...
Finalement, que nous "garantit" réellement une date? En quoi est-elle une donnée indispensable? Que nous apporte cette information?

Car j'ai un peu l'impression qu'aujourd'hui la forme a pris le pas sur le fond et que certains d'entre-nous oublient qu'une information brute n'a pas toujours un intérêt déterminant. Nous allons entrer en pleine période d'arrivage des nouveaux thés verts 2013 et comme j'apprécie vraiment la fraicheur de cette famille de thé, savoir si j'achète un thé de 2012 ou de 2013 a son importance. Admettons que l'année 2013 soit effectivement précisée, est-ce que je vais choisir un Long jing du 29 mars à 50€ les 100g ou un Bi luo chun du 06 avril à 35€ les 100g?

En admettant que j'apprécie autant ces deux thés, que je n'ai pas la possibilité de les goûter avant l'achat et que j'ai les moyens de m'offrir l'un ou l'autre, qu'est-ce qui va motiver mon choix? Que nous indique la date dans ce cas précis?



Attention, il y a un (des) piège(s)...


Petite précision tout d'abord, on parle ici de la date de récolte des feuilles et non de la date à laquelle un lot de thé particulier est terminé.
Mais, on peut très bien avoir récolté un lot de feuilles et l'avoir transformé immédiatement comme il arrive aussi bien souvent qu'on récolte plusieurs lots, parfois sur plusieurs jours avant de les transformer. C'est d'ailleurs le cas pour une majorité de thés noirs d'Inde et pour de très nombreux thés verts primeurs japonais. Et cela ne veut pas dire pour autant qu'ils sont de moins bonne qualité qu'une récolte unique préparée immédiatement, c'est simplement le processus de transformation du thé qui est différent. Il semble que ce soit moins le cas pour les belles qualités de thés verts chinois qui sont en général travaillés très rapidement après récolte.



Pour en revenir à nos Long jing et Bi luo chun, que nous indique la date de récolte? Que l'un est récolté avant l'autre est la première information assez évidente. Pour les amateurs un peu plus habitués à ces thés chinois, on peut même préciser que l'un est récolté avant Qing ming et l'autre après. Cette "Fête de la Pure Lumière" est une date importante pour cette famille de thés puisque les thés récoltés avant ce 04 ou 05 avril sont plus valorisés que les thés récoltés ensuite, entre Qing ming et Gu yu ("Pluies Bienfaitrices" entre le 19 et le 21 avril).

Bien sûr, pour nous ce ne sont que des dates. Or, l'importance des chiffres, de l'astrologie et de ces symbolismes calendaires pour les chinois est telle que la date peut être aussi importante que la qualité réelle d'un lot de thé. Et bien souvent, le prix suivra logiquement le calendrier, sans pour autant refléter parfaitement la qualité intrinsèque des feuilles proposées.



Un deuxième point à considérer est tout simplement ... la météo! En 2012, du côté de Hangzhou et de son lac de l'ouest où se préparent les Long jing d'origine, la fraicheur hivernale a persisté un peu plus longtemps que d'habitude et les premières pluies de printemps sont arrivées un peu en avance. Conséquence ; la période de récolte ayant fourni les meilleurs thés a été plus tardive et courte que les années précédentes. Pour notre Long jing cela s'est traduit par une hausse globale des prix et une qualité générale moindre qu'en 2011. De plus, cette année-là, les meilleures qualités n'ont pas été récoltées avant Qing ming mais plutôt après du fait de ce décalage météorologique. Un Long jing du 29 mars 2012 n'était donc probablement pas le meilleur thé de cette appellation, cette année-là. Et pourtant, étant récolté avant le 04 avril, son prix et sa qualité "symbolique" l'ont probablement mis au même niveau qu'un thé de qualité supérieure récolté au meilleur moment, par exemple (et au hasard), le 06 avril 2012.

D'accord pour 2012... mais pour 2013? Quelles ont été les conditions de récolte cette année?



Et puis les environs de Xihu (Lac de l'ouest, pour le Long jing) et ceux de Taihu (Grand lac, pour Bi luo chun), distants d'environ 150 km ne présentent ni le même climat ni les mêmes conditions météorologiques. Ce qui est valable dans le Zhejiang ne le sera peut-être pas dans le Jiangsu.

Alors, quel thé choisir? Nous voilà bien avancés...
Allez, je vous propose une petite pause (le temps d'aller boire un thé) et nous en reparlerons dans la suite de ce -trop- long article.




Au plaisir...

P.S. : merci à Charlotte dont l'article récent (et comme souvent instructif) m'a poussé à terminer ce premier épisode et à le publier alors qu'il trainait depuis un moment.

3 commentaires:

vacuithe a dit…

Bi Luo Chun ? Long Jing ? Quel suspense !
Cette tendance à la "traçabilité" ne touche pas que le thé, mais participe d'une tendance globale du consommateur qui commence à rechigner à continuer d'avaler tout et n'importe quoi sans trop se poser de question. A l'instar de certaines ménagères qui vérifient que les pommes qu'elles achètent dans leur supermarchés préférés viennent bien de leur région et non pas de l'autre bout du monde, certains amateurs de thé sont friands de données spatio-temporelles relatives à leurs petites feuilles vertes, surtout au printemps. Il n'y a rien qui me choque là-dedans. Pour sûr, il faut se méfier des dérives commerciales de cette tendance, et bien garder à l'esprit que les dates communiquées ne veulent pas forcément dire grand chose et qu'elles n'engagent que ceux qui y croient. D'où l'importance du crédit que l'on accorde à nos fournisseurs.

Charlotte Billabongk a dit…

Bon, je vois qu'on est sur la même longueur d'onde. Et quand je lis ton article, je me dis que de toute manière, les marchands peuvent bien mettre n'importe quelle date "au pif", personne n'ira vérifier ! Ces dates de cueillette sont aussi symptomatiques du discours de tous les revendeurs : "nous avons les meilleurs thés, que nous achetons sur place, dans des jardins de petits producteurs, bien sûr, etc..." Attention, je ne dis pas que cela est faux, mais enfin, ça reste à prendre avec des pincettes.

Et comme tu le soulignes, une date de cueillette ne peut garantir un niveau de qualité (aléas météo, etc). C'est la même chose pour un jardin célèbre. Pour le Long Jing, Shi Feng reste un nom prestigieux qui marque les esprits, mais en Chine, tous les spécialistes s'accordent à dire que ce jardin n'a pas produit de très hautes qualité depuis déjà quelques années...

Enfin voilà, il ne faut pas croire au père Noël et rester un tantinet critique.

Fabien a dit…

Un joli contre-exemple (dans le bon sens) est le dernier article de Florent où la date de récolte est introduite avec le contexte.
Et là, pour moi, ça devient intéressant.

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