Des feuilles de thé et de l'eau. Une tasse pour les réunir.
Voici, en substance, les seuls éléments absolument indispensables à l'obtention d'un thé infusé. Et pourtant, pour un certain nombre d'amateurs, on est bien loin de cette simplicité matérielle. Je le sais d'autant mieux que je fais plutôt partie de la catégorie des "matérialistes" au sens premier du terme, possédant en de multiples exemplaires théières, gaiwan (tasse couverte chinoise), tasses, jarres, tetsubin (bouilloire japonaise en fonte), chataku (sous-tasse, également d'origine japonaise), et autres accessoires plus ou moins indispensables...
N'y a-t-il pas ici une dérive, une contradiction par rapport à la simplicité revendiquée par les amoureux de thés chinois et japonais quand ils parlent du Thé? Le chadao chinois ou le sado japonais ne sont-ils pas au contraire l'opportunité de tendre vers un idéal de dénuement, presque une ascèse, et en tout cas d'oublier les débordements d'un consumérisme ambiant, déshumanisant et conformiste?
Pour poser la question autrement, en quoi la tetsubin présentée ici est-elle nécessaire? Car s'il faut bien chauffer l'eau pour préparer le thé, la première casserole venue semble suffisante pour cette tâche. Une bouilloire toute simple saura également remplir cette fonction basique. Quand on ajoute le fait que ces tetsubin, surtout si elles sont de qualité et anciennes, sont assez compliquées à trouver et onéreuses, comment expliquer l'acquisition d'une (voire de plusieurs...) d'entre-elles?
N'y a-t-il pas ici une dérive, une contradiction par rapport à la simplicité revendiquée par les amoureux de thés chinois et japonais quand ils parlent du Thé? Le chadao chinois ou le sado japonais ne sont-ils pas au contraire l'opportunité de tendre vers un idéal de dénuement, presque une ascèse, et en tout cas d'oublier les débordements d'un consumérisme ambiant, déshumanisant et conformiste?
Pour poser la question autrement, en quoi la tetsubin présentée ici est-elle nécessaire? Car s'il faut bien chauffer l'eau pour préparer le thé, la première casserole venue semble suffisante pour cette tâche. Une bouilloire toute simple saura également remplir cette fonction basique. Quand on ajoute le fait que ces tetsubin, surtout si elles sont de qualité et anciennes, sont assez compliquées à trouver et onéreuses, comment expliquer l'acquisition d'une (voire de plusieurs...) d'entre-elles?
De l'utile à l'agréable...
Cela fait plus de quinze ans que je bois du thé. Chinois, taïwanais ou japonais, de bons thés, en feuilles, préparés avec une certaine attention et un profond plaisir. Mes premiers bons thés ont été préparés dans un mug ; feuilles au fond, eau bouillante chauffée à la casserole par dessus. Infusion et hop, je transvasais dans un second mug avec une petite passoire pour filtrer les feuilles. Basique mais efficace. Avec le temps et la découverte d'un univers bien plus large que l'infusion en elle-même, je me suis mis à apprécier de plus en plus cette culture asiatique du Thé où les ustensiles mais aussi l'architecture, la musique, la peinture sont associés à cette boisson. De lectures en rencontres, de voyages en échanges, en lien direct avec le thé ou sans aucun rapport avec lui, je devenais de plus en plus sensible aux beaux objets, à la finesse d'une tasse en porcelaine, au grain d'une théière de Yixing, au travail artisanal de la fonte ou de l'étain...
Et au-delà de l'aspect "technique" et du souci du détail de ces objets de thé, les critères totalement subjectifs de beauté, d'équilibre, ou d'harmonie, et les sensations tactiles ou même sonores (ah, le crépitement de l'eau d'une tetsubin...) ont de plus en plus fait partie intégrante du plaisir de la préparation et du partage du thé. La mise en avant d'un savoir-faire artisanal, parfois ancien, est aussi pour moi quelque-chose de profondément attachant. La somme de ces considérations immatérielles apporte, pour moi, cette valeur ajoutée pas toujours mesurable qui me pousse vers une nouvelle théière ou qui me fait tellement apprécier ma sago, cette simple cuillère à thé ancienne en bois de pin que j'ai trouvée sur un site d'enchère bien connu et pour laquelle je me suis un peu battu, au moins financièrement!
Car, oui, c'est effectivement d'abord un achat. Mais mes moyens sont tout à fait limités (encore plus ces derniers temps d'ailleurs) et ce sont bien des critères esthétiques, presque émotionnels parfois, qui me font m'entourer de certains objets choisis. Gravitant autour de cette passion du thé, j'ai accumulé un certain nombre de choses pas absolument indispensables (jarres à thé, chataku) voire totalement non essentielles (kakejiku ; peinture ou calligraphie encadrée de papier ou de tissu, en rouleau et accroché au mur, cartes postales, estampes) mais qui chacune participe à un degré ou un autre au plaisir de partager un moment serein, de transmettre cette passion et d'échanger autour des valeurs que véhicule pour moi tout cet univers du Thé.
Le meilleur garde-fou que j'ai trouvé, c'est de n'acquérir que des objets dont je me servirai. Même si pour certains l'utilisation est moins fréquente, pas une seule de mes théières n'est décorative, toutes mes jarres sont remplies de thé et les tasses utilisées en fonction de mes humeurs, du thé choisi et des personnes réunies autour de la table.
Et puis, finalement, cela me donne l'occasion de faire quelques photos pour illustrer ce long article, en espérant avoir su faire passer cette idée toute simple : les objets, quand ils ont une âme, peuvent nous apporter bien plus que leur caractère simplement utile ou que leur seule valeur marchande. A bientôt...
P.S. : j'ai choisi de laisser les termes chinois et japonais, en italique, au singulier. Il me semble que c'est une règle qui est discutable puisque certains mots étrangers sont aujourd'hui francisés et intégrés dans nos dictionnaires, avec leurs pluriels. C'est uniquement un choix personnel basé sur le fait qu'il me semble que le pluriel n'existe pas pour les noms communs dans ces deux langues.
8 commentaires:
Cela fait du bien de te lire; on se sent moins coupable!
Article indispensable.
Merci.
Quel dilemme effectivement... Cela dit, une tetsubin par exemple participe à l'amélioration du thé obtenu, que ce soit au niveau du plaisir ressenti à manipuler un bel objet, que de l'effet qu'elle a sur l'eau. La seule fois que j'en ai essayé une, j'ai été bluffé. C'est sur ma liste... trop longue liste...
et sans compter le fait qu'il est facile de se laisser tenter ... n'est-ce pas David, toi qui es atteint du même mal que moi ?
Maintenant, disons historiquement, pour ce qui est de la simplicité de la voie du thé, elle n'est qu'apparente et cache plutôt une grande complexité ... tout en restant humble, mais sans confusion avec un idéal de dénuement ... en somme : sobriété oui, "pauvreté" non ...
@ Philippe : oh tu sais, si on peut aider... :)
@ David : bien d'accord, tous ces "accessoires" participent d'une manière ou d'une autre à l'infusion. Avec plus ou moins d'influence sur le résultat obtenu. Ça n'a jamais été l'élément motivant le choix dans mon cas. Je pense que mon passé de scientifique cartésien a entrainé un rejet de toute analyse/recherche/comparaison dans le thé. Je sens bien ces différences, j'en tiens bien évidemment compte dans le choix d'une théière, mais plutôt inconsciemment. C'est vraiment, dans mon cas, la somme des expériences, des ressentis, des habitudes qui va influencer mon choix de tel ou tel objet. Ou, comme tu le disais, l'allongement sans fin de la liste des belles choses désirables...
@ Nicolas : Oui et... peut-être pas tout à fait ;)
Même si le terme "idéal de dénuement" était volontairement exagéré, je pense quand-même qu'il y a des différences très fortes entre notre approche occidentale et la vision historique ou traditionnelle du Thé en Asie (comme tu le soulignes par ailleurs). Et encore, il faudrait vraiment faire une distinction entre Japon & Chine, Europe & Etats-Unis, Chine des lettrés et Chine plus populaire, Chine continentale et Taïwan, etc...
Sans compter les idées reçues et autres poncifs sur l'Asie, le zen (mis à toutes les sauces parce que c'est "hype"), le dénuement, le bouddhisme et j'en passe.
Bref, pas exactement du dénuement mais pas forcément non plus une indispensable complexité. Je suis profondément persuadé que le but n'est pas de rendre complexe quelque-chose de simple à la base.
Ce sont de petites améliorations, un développement lent et continu d'une esthétique, d'un raffinement, et une certaine maitrise technique (porcelaine, travail du grès...) qui ont amené cette complexité apparente. Je pense qu'on parle tous les deux effectivement de la même chose mais qu'on l'exprime de manière inverse. Pour moi ce serait plutôt l'apparente complexité qui cache une profonde simplicité (j'aime beaucoup aussi ton choix de l'idée de sobriété qui me parait très juste).
L'exemple parfait pour moi : les cours professés par certains vendeurs connus qui vous promettent de devenir, comme eux, des "experts-dégustateurs". Comment peut-on croire que la seule maîtrise du langage organoleptique (très européen, voire français) des œnologues ou des parfumeurs est nécessaire et suffisante? Ils oublient pour moi l'essentiel, la base. Ils font passer la forme avant le fond.
Ce n'est bien sûr qu'un avis très personnel et profondément subjectif! Allez, tout ça m'a donné soif, il est temps de boire un petit thé :D
>> n'est-ce pas David, toi qui es atteint du même mal que moi ?
Hmm... coupable, mais pas responsable : il faut bannir eBay de la toile !! (ou pas) ;-)
Bannir eBay...
Ce serait aussi passer à côté de beaucoup de petits trésors cachés! N'est-ce pas David!
Allez, il faut juste qu'on exerce notre capacité de retenue... oui je sais, ce n'est pas toujours facile :)
Intéressantes réflexions Fabien.
Je constate qu'on en est tous au même point : amoureux les uns de céramiques japonaises, les autres de vieilles terres chinoises, les autres encore cumulant les 2 vices, et j'en passe...et culpabilisant d'ainsi "trahir" l'idéal de simplicité de la voie du thé (idéal discutable comme il a été dit...).
Tu écris "n'acquérir que des objets dont je me servirai" : y arrives-tu ? Car rien de plus triste pour moi que de beaux ustensiles dormant dans un meuble ou dans leur boîte ! (j'en ai quelques uns comme ça hélas...)
J'y arrive dans le sens ou aucune théière (ou autre objet) n'est totalement laissée de côté. Par contre certaines, les plus volumineuses (jusqu'à 250 ml) acquises il y a déjà longtemps, sont nettement moins utilisées. Par contre, à l'époque, elles ont beaucoup servies. Ce sont plutôt mes habitudes qui ont changées.
Et aujourd'hui, je suis souvent tenté par un bol, une jarre ou un plateau en bois mais j'essaye vraiment de me poser la question de leur emploi. Je ne suis pas collectionneur dans l'âme et ces objets sont faits pour être utilisés et non pas exposés... à mon sens en tout cas.
Ça me fait beaucoup penser à beaucoup d'objets japonais du "mouvement" Mingei. Au départ c'est une réaction contre une uniformisation et une baisse de qualité de l'artisanat japonais. Aujourd'hui, ces objets sont, à l'inverse, devenu des pièces recherchées de collection... et rejoignent musées et collections privées.
A croire qu'il est difficile voire illogique d'utiliser de beaux objets créés par des artisans/artistes. Alors que nombre de ces céramiques, laques, objets en bois acquièrent leur beauté par l'utilisation qu'on en fait.
Bref, je m'écarte du sujet, comme souvent! Donc oui, je les utilise et si je devais en oublier un trop longtemps sur une étagère, je crois que je préfèrerais le faire passer à quelqu'un qui aura plaisir à l'utiliser.
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